RÉPRESSION CONTRE LE MOUVEMENT GAZTERIAK

Depuis juin 1996, 80 arrestations, de celles que nous avons pu recenser, ont eu lieu en Pays Basque Nord, et toutes concernent des jeunes, c'est-à-dire des gens ayant moins de 30 ans.

Ce sont donc 80 personnes qui sont passées par les locaux de la Police Judiciaire de Bayonne ou de Pau. Les premières arrestations ont eu lieu à la suite de manifestations, mais dans la majorité des cas, ce sont des commissions rogatoires qui les ont rendues possibles. La plupart de ces commissions rogatoires sont non nominatives (contre X), et émanent des juges "anti-terroristes" Le Vert ou Ricard.

Ces commissions rogatoires-là permettent en fait l'interpellation de toute personne, si les policiers en ont envie. Différents corps de police sont chargés d'effectuer ces interpellations : gendarmes, ou officiers de la Police Judiciaire de Bayonne, Bordeaux ou Paris (6éme DPJ), selon les cas.

Très souvent, ce sont des militants ou sympathisants de Gazteriak, ou des membres dynamisateurs de groupes sportifs, culturels ou sociaux qui forment la cible privilégiée de la police et de la justice. Les motifs invoqués sont variés :
- enquêtes sur les incidents ayant fait suite aux manifestations du 8 juin et du 3 août 1996, à Bayonne ;
- enquêtes sur les jets de cocktails Molotov contre des gendarmeries, véhicules ou domiciles de policiers ;
- enquêtes sur les actions réalisées par Iparretarrak ;
- ou aucun motif signifié.
La durée passée en garde à vue varie de 4 heures à 4 jours, avec une moyenne de 36 heures.

 

Conditions d'interpellation

Il existe plusieurs types d'arrestations et toutes sont significatives.

- arrestations suite à un contrôle d'identité :
Plusieurs jeunes ont subi des contrôles d'identité dans la rue ou sur la route. Après avoir prouvé leur identité, les policiers leur ont signifié qu'ils avaient "une fiche sur eux", et que c'est pour cela qu'ils les conduisaient au commissariat, afin d'effectuer une vérification d'identité. On peut qualifier ces pratiques de "détentions abusives", car les personnes étaient parfaitement en règle. C'est par la suite, au commissariat que leur a été signifiée leur "mise en garde à vue".

- arrestations à domicile :
Elles ont généralement lieu entre 6 et 7 heures du matin. Les policiers frappent à la porte jusqu'à ce qu'on leur ouvre et demandent à voir telle ou telles personnes. Dans la majorité des cas, ils ne présentent pas la commission rogatoire sur laquelle sont inscrits les motifs, les autorisations d'interpellations, de perquisitions, de saisie..., ainsi que le nom du juge qui dirige l'enquête, alors que selon la loi, ils y sont tenus. Ces commissions rogatoires sont des photocopies de photocopies ou de fax, et sont quasiment illisibles. Les policiers réalisent alors le plus souvent les perquisitions de ces domiciles.

- arrestations à l'école ou sur le lieu de travail :
Les policiers viennent interpeller les gens sur leur lieux de travail ou au lycée. Les arrestations se font donc en présence des collègues ou des autres étudiants.

 

Conditions de garde à vue

Les personnes arrêtées sont conduites jusqu'aux locaux de la Police Judiciaire. Après avoir été dépouillées de tous les objets personnels (montre, argent, lacets...), elles subissent des interrogatoires à intervalles réguliers. Ces interrogatoires sont longs et fatigants, compte tenu des nombreuses pressions psychologiques qui pèsent sur la personne questionnée. Celle-ci est en effet assaillie de questions portant sur l'affaire en cours, mais également sur ses opinions politiques, ses convictions intimes, sa vie privée...

D'autre part, les questions tournent aussi souvent autour de Gazteriak, sur ses militants, sur les sympathisants, sur tout ce qui touche de près ou de loin au militantisme (participation aux manifestations, aux concerts...).
Ces questions qui n'ont rien à voir avec l'enquête constituent une atteinte à la liberté et à la dignité de la personne. Pendant ces interrogations, les abus sont nombreux. Il arrive souvent que des jeunes restent plusieurs heures durant menottes aux poignets, pendant les interrogatoires. Viennent ensuite les intimidations, classiques : "si tu ne parles pas, tu vas monter à Paris, on va t'incarcérer..." ou : "ne te plains pas, tu as de la chance de ne pas t'être fait arrêter par les flics espagnols...".

Des intimidations beaucoup plus graves ont aussi été prononcées. Comme pour un jeune ayant des parents de nationalité espagnole et sur lesquels les policiers ont fait peser une menace d'expulsion. Les inspecteurs ont aussi dit à une jeune fille que son père était à l'hôpital de Bayonne parce qu'il avait fait un infarctus, et "qu'elle ferait mieux de parler si elle voulait avoir une chance de le revoir avant qu'il ne meure". Les jeunes filles ayant été arrêtées, bien que peu nombreuses ont vécu cette période beaucoup plus difficilement, du fait de la pression qui était exercée sur elles. Plusieurs d'entre elles ont été violemment et grossièrement insultées, voire menacées.

Toutes ces pressions psychologiques sont surtout adressées aux personnes très jeunes (17-20 ans), parce que ce sont, d'après les policiers, les plus faibles ou les plus "impressionnables". Les perquisitions réalisées pendant la durée de la garde à vue ne sont pas toutes effectuées dans les règles. Pour de nombreux jeunes domiciliés chez leurs parents, les policiers ont fouillé les chambres appartenant aux parents ou aux frères et soeurs, alors qu'ils n'en ont pas le droit, et malgré l'opposition ferme des membres de la famille. Les empreintes et photos sont prises dans tous les cas, et même parfois de force.

 

But recherché avec ces arrestations

Les jeunes ayant été relâchés sans charges doivent ensuite reprendre leur emploi du temps normal. Cependant, ces détentions ont souvent changé l'ordre des choses, et l'ambiance n'est pas toujours la même avant et après la détention. En effet, quand les policiers ont téléphoné et sont venus arrêter quelqu'un sur son lieu de travail ou d'études, celui-ci a parfois du mal à se réintégrer dans son milieu, du fait des pressions qui ont été exercées sur son entourage. C'est le cas d'un jeune qui a été arrêté deux fois en quinze jours dans son lycée pour être conduit en garde à vue. C'est apparemment un des objectifs recherchés.

Dans certains villages, il règne une ambiance de suspicion envers les jeunes arrêtés et relâchés ensuite sans charges : le "qu'en dira-t-on" n'est pas toujours facile à supporter. En plus de cela, certains doivent subir un acharnement de la part des policiers locaux : contrôles injustifiés et répétitifs, jusqu'à plusieurs fois dans la même journée, par les mêmes policiers, contrôles systématiques des mobylettes et scooters... Un autre jeune travaillant pour une entreprise de travail intérimaire depuis plusieurs mois s'est retrouvé sans emploi, parce que la police avait téléphoné à son employeur pour lui dire que ce jeune était quelqu'un de dangereux et qu'il valait mieux ne pas le garder. Un autre jeune a été placé trois fois en garde à vue en six mois, en plus de nombreux contrôles "classiques", sans qu'aucun élément ne justifie jamais ces arrestations. Dernièrement, un jeune étudiant ayant passé plusieurs semaines en vacances chez lui, a été arrêté le premier jour de son stage sur son lieu de travail, devant ses collègues, alors que les policiers pouvaient parfaitement l'arrêter chez lui les jours précédents. Dans d'autres cas, quand les policiers voulaient arrêter des jeunes chez eux, au lieu de s'y rendre directement, ils ont d'abord frappé à la porte de trois autres maisons (à 6 heures du matin!), avant de trouver la bonne adresse, faisant ainsi en sorte que tout le voisinage soit au courant.

 

Huit jeunes incarcérés à Paris

Depuis janvier dernier, huit de ces jeunes sont incarcérés à Paris, c'est-à-dire à 800 kilomètres du Pays Basque. Quatre d'entre eux ont été depuis libérés, deux autres ont été jugés, les deux derniers autres sont toujours en attente de leur jugement. Ils ont tous été incarcérés par rapport à des commissions rogatoires du juge Laurence Le Vert et qui concernent les enquêtes sur des jets de cocktails Molotov sur gendarmeries ou voitures de policiers.

Il n'y a aucun élément dans les dossiers, et les délits utilisés comme prétexte à leur incarcération sont des délits mineurs (n'ayant occasionné que des dégâts matériels). Malgré cela, et au moment où l'on ne parle que de présomption d'innocence, ils sont incarcérés à 800 kilomètres de leur pays, dans le cadre de la loi anti-terroriste. Cet éloignement à des conséquences graves pour la famille, pour les amis et pour assurer la défense. D'autre part, il faut se débrouiller pour maintenir l'emploi de ceux qui travaillent, ainsi que leurs appartements, véhicules...

 

Conditions de l'incarcération

Être incarcéré représente des frais énormes pour la famille ; tout d'abord, il faut assumer les frais quotidiens de chaque prisonnier, afin qu'ils puissent vivre de façon décente en prison, où tout s'achète à des prix élevés. S'ajoutent ensuite les frais de déplacements, que ce soit pour la famille qui se rend aux visites, ou pour l'avocat qui assure la défense. En ce qui concerne les visites, il faut savoir que des permis sont obligatoires. Les demandes de permis de visite doivent s'effectuer de façon individuelle auprès du juge chargé de l'enquête. Les réponses, positives ou négatives, n'arrivent pas, au mieux, avant quinze jours. Les refus d'accorder des permis sont fréquents, et jamais justifiés. Lorsque le permis est enfin accordé, il faut ensuite qu'il parvienne à la prison en question, ce qui peut prendre une ou deux semaines de plus. Il va sans dire que pendant tout ce temps, le prisonnier ne reçoit que la visite de son avocat. Quand la famille ou les amis peuvent enfin se déplacer jusqu'à Paris, c'est-à-dire lorsqu'ils sont sûrs que le permis est bien arrivé à la prison, ils doivent alors couvrir 1600 kilomètres d'aller et retour pour effectuer une visite qui ne dure que 30 minutes (ou une heure une fois dans le mois, dans le meilleur des cas, selon les prisons).

Pour ce qui est du courrier ou des journaux, c'est la même chose : pendant les quinze premiers jours d'incarcération, tout est bloqué, laissant le prisonnier sans contact avec l'extérieur, puis, normalement, tout arrive, mais de façon irrégulière. Ces personnes, placées en détention provisoire et présumées innocentes aux yeux de la loi, sont condamnées avant même d'avoir été jugées ; elles sont condamnées à être coupées de leurs familles, suite à la décision d'un juge, pendant une longue période et condamnées à ne recevoir que peu de visites à cause de l'éloignement et des frais que cela suppose.

 

Dénonciation

Nous tenons à dénoncer fermement de telles pratiques qui visent tous les jeunes du Pays basque Nord qui sont investis dans des dynamiques, et principalement ceux appartenant au mouvement Gazteriak. On constate que Gazteriak est devenu la cible bien déterminée de la justice et de la police. Il est évident que le Mouvement de la Jeunesse du Pays Basque Nord dérange énormément parce qu'il est vivant, parce qu'il est actif, parce qu'il est capable d'organiser de grandes choses et qu'il regroupe des jeunes venus de tous les secteurs géographiques et de toutes les luttes sectorielles.

Dire ce que l'on pense et essayer de faire changer les choses en se prenant soi-même en charge, n'a jamais plu, et cette situation n'a pas évolué depuis longtemps. C'est pour cela que ces vagues d'arrestations ont débuté de façon brutale et soudaine. On y voit là une volonté évidente de casser ces dynamiques et surtout, de faire peur aux gens, aux jeunes qui commencent à s'y investir. Ces arrestations essayent de semer le trouble dans l'esprit des gens, afin qu'ils renoncent à exprimer leurs idées et à se battre pour qu'elles se concrétisent. Dans un même temps, ces arrestations permettent le fichage systématique de dizaines de jeunes, constituant la nouvelle génération de militants.


D'autre part, nous dénonçons l'incarcération des quatre jeunes qui se trouvent actuellement à Paris, à savoir : Egoitz Urrutikoetxea (de Biarritz), Manex Erdozaintzi (de St-Just Ibarre), Didier Aguerre (de Pagolle) et Joxemi Espartza (d'Hendaye).

 

Nous demandons donc la libération de ces quatre jeunes ainsi que l'arrêt immédiat de ces rafles. Ce sont principalement des jeunes qui sont touchés par cette vague de répression, mais en réalité, c'est toute la société basque qui est visée. Pour cela, nous demandons à toutes les personnes, à toutes les associations ou groupes de dénoncer également ces pratiques, de soutenir les quatre jeunes incarcérés et de lutter pour que l'on obtienne leur libération. De leur côté, les jeunes incarcérés luttent également, en participant à la campagne "Euskal Presoak Euskal Herrirat", qui se concrétise notamment par une grève de la faim tournante d'une durée de 25 jours (campagne pour le regroupement de prisonniers basques au Pays Basque). Nous devons les soutenir dans leur lutte et donc participer à tous les actes de solidarité qui sont organisés. Ce n'est pas un problème qui concerne uniquement la jeunesse mais qui nous concerne tous, parents, amis, voisins.

Commission de Gazteriak contre les rafles et les arrestations.

 

Violences pendant la garde à vue

Neuf arrestations ont eu lieu à Arcangues et à Bayonne le 13 mai 1997, sur commission rogatoire du juge Le Vert. Un dispositif policier impressionnant a été mis en place : plus de 100 policiers, dont ceux de la 6ème DPJ de Paris, des chiens, hélicoptères...

Sur ces 9 personnes gardées à vue dans les locaux de la DICCILEC à Hendaye, l'une d'entre elles, un jeune bayonnais a été violemment battu. Lors de son interpellation, son appartement a été saccagé : armoires et lits retournés, matelas éventrés, miroirs brisés, nourriture renversée (conserves ouvertes, œufs pris dans le frigo et déposés ironiquement dans des chaussures...). Comme les autres, il n'a pu connaître le motif de sa garde à vue.

Les questions qui lui ont été "posées" concernaient le mouvement abertzale en général et le mouvement de la jeunesse en particulier. Quand les policiers de Paris lui demandaient s'il connaissait telle personne, s'il répondait que non, il se faisait traiter de menteur, et prenait des coups. Ensuite, toujours avec la même question, il disait qu'il connaissait, et là aussi, se faisait traiter de menteur, et prenait des coups. Il est resté au total 36 heures en garde à vue, et dès le moment de son arrestation il a été frappé.

Ils lui ont mis un ikurriña sur la tête et le frappaient au visage. Plus tard dans les locaux de la DICCILEC, il a été violemment frappé au visage, sur les mains, dans les côtes et les testicules. Les policiers l'ont fait se lever de sa chaise, ils lui tapaient dans les genoux, puis lui disaient de s'asseoir, lui tapaient dans les genoux, etc, pendant de longs moments.

Ce jeune a vraiment senti la haine de ces policiers à l'égard de tout le mouvement de la jeunesse, et ils lui ont clairement dit qu'ils arriveraient à casser ces dynamiques, à écraser tout ça. Au moment de sa libération, ils lui ont dit qu'il avait de la chance que Le Vert ne veuille pas de lui, et que si cela ne tenait qu'à eux, ils l'auraient envoyé rejoindre ses copains à Paris.

A sa sortie, il a fait faire un certificat médical (incapacité de travail de 15 jours), ainsi qu'un constat d'huissier de son appartement.

En compagnie des autres interpellés, ils ont donné une conférence de presse pour expliquer ce qui s'était passé. Une plainte a été déposée. Avec l'aide d'un avocat, ce jeune va essayer de connaître les noms des policiers qui l'ont frappé, afin que la plainte soit déposée contre eux (et pas uniquement contre X) et que les poursuites qui s'imposent soient effectuées.

Cet exemple nous prouve bien que la justice et la police ont mis en place une nouvelle dynamique, dont le seul but est de casser le mouvement de la jeunesse. On l'avait déjà compris, mais là, en plus, ils l'ont clairement dit.

Cette augmentation de la violence pendant les gardes à vue nous préoccupe au plus au point, car la police française commence à utiliser les méthodes malheureusement trop connues de la police espagnole. Face à ces graves dérives, on peut se poser des questions en ce qui concerne l'avenir, et reposer le problème de la démocratie à la française, qui apparaît régulièrement sur le papier, mais qui dans la réalité n'est qu'une légende.

Gazteriak
Hitz-Ordu batzokia
Dibildos Karrika
64240 Hazparne
tél / fax : 05 59 46 10 15